27 Avr

Litiges sociaux : Quand les juges ne respectent pas le délai de convocation.

Me Nawal Lachguar – Avocate au Barreau de Rabat

Article publié dans la revue juridique la Lettre d’Artémis

Certaines règles de la procédure civile ont été mises en place pour protéger et garantir les droits des justiciables. Elles découlent de certains principes consacrés par la Constitution, notamment, les principes d’égalité devant la loi et devant la justice, les droits de la défense et le droit de recourir à un juge. A titre d’exemple en ce qui concerne les droits de la défense, l’article 120 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable. Les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions. »

Un des aspects du droit
de la défense est le droit au respect du contradictoire. Il implique que toute
personne doit être informée de l’existence d’une procédure engagée contre elle.
Cette information est réalisée à travers la convocation qui obéit à des règles
spécifiques mises en place par le législateur afin de ménager le temps
suffisant pour préparer une défense. Ce délai est de huit jours au moins avant
l’audience en ce qui concerne les litiges sociaux. L’article 274 du Code de
procédure civile dispose que la convocation à audience est adressée aux parties
« huit jours au moins avant la date fixée pour la comparution. »

S’agissant d’une règle
fondamentale mise en place pour protéger un droit fondamental, ce délai est
scrupuleusement respecté par les juges du fond qui ne se bornent pas à vérifier
que le défendeur a été convoqué à l’audience mais vérifient que le délai de
huit jours a bien été respecté et renvoient à audience ultérieure avec nouvelle
convocation du défendeur (généralement l’employeur) dans le cas contraire.

Cependant, un certain
nombre de juges, au tribunal de première instance de Kénitra ont pris pour
nouvel usage depuis quelques années de se contenter de renvoyer à audience ultérieure,
sans nouvelle convocation du défendeur[1]
en cas de non-respect du délai d’au moins huit jours entre la date de la
convocation et la date de la comparution. Il ne s’agit pas d’un usage
anecdotique mais d’une pratique 
constituant un courant aux conséquences néfastes au climat des affaires,
puisque Kénitra est une ville qui accueille un grand nombre d’investisseurs
internationaux dans sa zone franche, Atlantic Free Zone, notamment dans des
industries employant une importante main d’œuvre comme celle du câblage
automobile.

Les juges de Kénitra motiveraient
cette absence de nouvelle assignation par les termes mêmes de l’article 274 du
CPC, qui contrairement à l’article 40 du même Code, ne prévoit pas
explicitement de nullité en cas de non-respect du délai de convocation.

En effet, pour les
litiges autres que sociaux, l’article 40 du CPC dispose que : « Il
doit y avoir entre la notification de la convocation et le jour fixé pour la
comparution, un délai de cinq jours si la partie est domiciliée ou en résidence
dans le lieu où siège le tribunal de première instance ou dans une localité limitrophe,
et de quinze jours si elle se trouve dans tout autre endroit sur le territoire
du Royaume, à peine de nullité du jugement qui serait rendu par défaut. »

Ainsi, à la différence de
l’article 274 du CPC, l’article 40 du CPC tire explicitement la conséquence du
non-respect du délai de convocation qui sera la nullité du jugement. Profitant
donc de cette « brèche » dans l’article 274, certains juges considèreraient
qu’il n’est pas utile de re-convoquer le défendeur (en général l’employeur)… Paradoxalement,
leur décision même de renvoi à audience ultérieure est motivée par le fait que
la convocation ne respecte pas le délai de convocation de huit jours. Alors qu’il
ne s’agit pas d’une procédure en référé, comment peut-on renvoyer à audience
ultérieure pour non-respect du délai de convocation mais décider de ne pas
re-convoquer le défendeur absent ? Pourquoi décider de passer outre une règle
basique de la procédure civile ? Serait-ce pour une volonté de réduction
des délais de traitement des dossiers et afficher ainsi une célérité de façade,
au détriment des droits fondamentaux des justiciables ?

Car s’agissant d’une
formalité substantielle relative aux droits de la défense et notamment le
respect du contradictoire, le non-respect du délai de convocation ne constitue
pas un simple vice de forme et doit être sanctionné par la nullité de la
convocation, dès lors que le défendeur n’a pu de ce fait organiser sa défense.
Cette nullité de la première convocation doit entrainer une nouvelle
convocation, car le défendeur n’a pas été avisé de la date de l’audience ultérieure.
La Cour de cassation considère d’ailleurs que l’irrégularité de la convocation
des parties constitue une atteinte aux règles des procédures relatives aux
droits de la défense[2].

Certes, le principe du
contradictoire a des exceptions, notamment, la procédure sur requête et des
procédures d’injonction de payer dans lesquelles le défendeur n’est même pas
appelé. Mais, même dans ces cas, le défendeur non-comparant et non-informé de
la procédure dispose de la voie de recours de l’opposition, qui va lui
permettre d’être jugé à nouveau et de manière contradictoire par la juridiction
qui avait initialement statué par défaut.

Par ailleurs, la procédure
civile en matière de litiges sociaux a une autre spécificité : la procédure
de conciliation préalable obligatoire en première instance. L’article 277 du
CPC dispose en effet : « Le juge, au début de l’audience, tente de
concilier les parties 
». Ainsi, les parties doivent obligatoirement être
régulièrement convoquées à cette audience de conciliation qui ne peut avoir
lieu que devant le tribunal de première instance et non devant la Cour d’appel[3].
Comment le tribunal de première instance pourrait-il conclure à l’échec de la
procédure de conciliation pour absence de l’employeur à une audience à laquelle
ce dernier n’a pas été régulièrement convoqué ?

Le non-respect du délai
de convocation prévu à l’article 274 du CPC, entraine donc la privation du défendeur
de son droit au respect du contradictoire, de la procédure de conciliation et d’un
degré de juridiction, puisqu’il n’a pas pu se défendre en première instance. En
cela, loin d’être une simple norme technique, la règle de procédure civile
relative à la convocation dans un délai de huit jours, est une règle de procédure
fondamentale et impérative dont la violation par une juridiction entraine l’annulation
du jugement.

Une telle pratique dont
la motivation serait, pour prêcher la bonne foi, d’accélérer la machine
judiciaire au profit des justiciables notamment des salariés au désarroi d’un
conflit social préjudiciable, exposerait les jugements rendus à un recours systématique
et une annulation qui finalement réduirait à néant, cette même célérité.


[1] Tribunal de première instance de Kénitra, 10 janvier
2018, 1111/1501/2017 n° de jugement 37

[2] Décision de la Cour de cassation en date du 30 mars
1975 (الشرح العلمي لقانون المسطرة
المدنية ص.276 )

[3] Chambre sociale de la Cour de cassation, 24
septembre 1980, décision 369, dossier 83874, et 24 avril 1989, décision 720,
dossier 87/8658